L’amendement n°I-3379 du Projet de Loi de Finances (PLF) 2026 crée en effet un Impôt sur la Fortune Improductive. Cet impôt serait assis sur les actifs considérés comme « non productifs » : biens immobiliers, objets précieux, voitures, yachts, œuvres d’art, avions, cryptomonnaies, liquidités, placements financiers non investis dans les entreprises ou produits d’assurances-vie – hors unités de compte. La part d’assurance vie en fonds euros entre ainsi dans l’assiette de ce nouvel impôt. Comme pour l’actuel IFI, le seuil resterait fixé à 1,3 million d’euros de patrimoine net taxable.

Le fonds euro, un placement « non productif » ?

Les fonds euros, qui représentent près de deux tiers des 2 084 milliards d’euros d’encours de l’assurance vie, sont ciblés au motif qu’ils constitueraient des placements « non productifs ». Cette approche méconnaît leur rôle structurant dans le financement de l’économie réelle. Florence Lustman, Présidente de France Assureurs a rappelé que la structure d’investissement du fonds euro est proche de celle de l’assurance vie dans son ensemble, avec une allocation composée à 57 % de titres d’entreprises et à 30 % de dettes souveraines.

Ce positionnement participe activement au financement de l’économie réelle et au soutien des finances publiques. Or, au premier trimestre 2025, les investisseurs non-résidents détenaient 54,7 % des titres de la dette négociable française, confirmant le poids prépondérant des capitaux étrangers dans le financement de l’État. La taxation des fonds euros risque de décourager leur détention, d’accroître la dépendance aux capitaux extérieurs et de fragiliser la souveraineté financière nationale.

Arbitrages en vue en faveur des UC

Cette mesure ne concernerait qu’une fraction limitée de la population, et uniquement la part du patrimoine excédant 1,3 million d’euros. Mais elle envoie un signal ambigu, alors même que les réformes récentes – loi Pacte et Loi Industrie verte en particulier- visent à orienter l’épargne vers le financement de l’économie réelle européenne.

La taxation des fonds euros pourrait accélérer un mouvement déjà engagé de réallocation vers les unités de compte (UC), dans un contexte de diversification des supports encouragée par les taux bas et les incitations réglementaires. Selon France Assureurs, sur les neuf premiers mois de 2025 :

  • Les cotisations en UC ont atteint 53,6 milliards d’euros, en hausse de 13 % par rapport à 2024 ;
  • La collecte nette en UC s’élève à 17,4 milliards d’euros, soit près de 70 % de la collecte nette totale en assurance vie.

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Vers des supports plus « productifs » ?

Une fiscalité ciblée sur les fonds euros, souvent perçus comme prudents mais peu dynamiques, pourrait accentuer ce rééquilibrage. Toutefois, en l’absence d’un fléchage explicite vers des investissements productifs, les épargnants risquent d’arbitrer en faveur de supports jugés plus flexibles ou moins fiscalisés. Sans amélioration tangible de l’impact économique.

Or, les unités de compte sont majoritairement investies en actifs cotés et, dans une moindre mesure, en obligations. Cette composition, bien qu’elle diffère des fonds euros sur le plan du risque, ne modifie pas fondamentalement la nature du financement apporté à l’économie réelle. Elle reste largement orientée vers des marchés secondaires, avec une contribution indirecte et souvent marginale au financement des PME ou des projets de transformation.

Il est donc essentiel d’évaluer la qualité réelle des allocations induites par ces flux, afin d’éviter un déplacement de l’épargne qui serait fiscalement incité mais économiquement neutre.

Quel impact sur l’attractivité globale de l’assurance vie ?

L’instauration de cet impôt pourrait altérer l’attractivité globale de l’assurance vie, en affaiblissant son rôle de pilier de l’épargne longue. Dans un contexte de transition écologique, démographique, technologique, une telle mesure risque de détourner les flux vers des placements de court-terme, au détriment de la stabilité des ressources mobilisables pour l’économie réelle.

La collecte nette en fonds euros est déjà négative depuis plusieurs trimestres : -1,2 milliard d’euros sur les neuf premiers mois de 2025. La mesure fiscale envisagée pourrait accentuer ce phénomène en ajoutant une incertitude sur la fiscalité des contrats. Elle pousserait les épargnants à :

  • arbitrer vers des produits non soumis à la nouvelle taxation – UC, livrets réglementés ;
  • réduire ou reporter leurs versements, voire désinvestir leurs contrats existants.

Ce mouvement de décollecte pourrait affecter la stabilité des portefeuilles assurantiels et réduire la capacité des assureurs à investir à long terme. Il fragiliserait aussi l’équilibre technique des fonds euros, déjà soumis à des contraintes de rendement et de solvabilité.

Offres, devoir de conseil : des impacts significatifs

En cas d’adoption définitive de la mesure, les assureurs devraient rapidement ajuster leurs offres. C’est-à-dire intégrer des supports considérés comme « productifs », tout en maintenant le niveau de sécurité attendu par les épargnants. Cela nécessiterait une redéfinition du devoir de conseil et une attention renforcée à la manière dont les clients perçoivent les fonds euros. Cela appellerait aussi une évolution des outils digitaux et des dispositifs de conformité pour assurer un accompagnement transparent, structuré et conforme aux nouvelles exigences.

Face à la multiplication des initiatives fiscales dans le cadre du PLF et du PLFSS – à l’instar de la hausse de la CSG sur les revenus du capital tout juste adoptée par les députés-, les professionnels du secteur doivent anticiper une pression fiscale accrue sur les produits d’épargne. Avec des impacts potentiels sur l’ensemble de la chaîne assurantielle. L’examen du texte par le Sénat, à partir du 25 novembre, constitue ainsi une étape clé pour les acteurs de l’assurance vie.